septembre 2019

#Media - Les actions gratuites, un jackpot pour les grands managers ?

 Retour aux actualités

Article publié dans le cadre du numéro spécial « Classement 2019  des 500 plus grandes fortunes professionnelles de France ». En cinq ans, les rémunération en actions gratuites ont explosé pour les managers au long cours. Ceci grâce à des packages que la loi Macron a rendus fiscalement plus attractifs.

Durant longtemps, les trois seuls patrons de grands groupes présents dans le classement des Fortunes de Challenges ont été Claude Bébéar, le fondateur d’Axa, Charles Edelstenne, l’inventeur de Dassault Systèmes, et Maurice Lévy, le transformateur de Publicis. Chacun à leur manière, ils se sont comportés comme des dirigeants visionnaires, mais aussi comme des entrepreneurs. Au point, pour les deux derniers, d’avoir investi leurs économies dans les entreprises qu’ils pilotaient, l’un pour convaincre Marcel Dassault de la justesse de son idée, l’autre au moment de racheter des parts à la famille Bleustein-Blanchet. Edelstenne et Lévy pointent d’ailleurs toujours dans notre classement, respectivement à la 44e et la 339e place, avec des patrimoines estimés à 2,1 milliards et 260 millions d’euros.

Des chiffres qui explosent

Mais ils étaient des sortes de pièces uniques. Un article de Challenges de 2013 signalait ainsi qu’un PDG du CAC 40 finissait sa carrière, compte tenu de sa rémunération en actions, avec des avoirs qui oscillaient entre 20 et 30 millions d’euros, avant imposition. Aujourd’hui, ces chiffres ont explosé : certains managers au long cours, comme Bernard Charlès ou Jean-Paul Agon, ont solidement intégré le classement de Challenges : avec 500 millions d’euros pour le directeur général de Dassault Systèmes et 200 millions pour le PDG de L’Oréal, ils se placent aux 186e et 415e rangs de notre classement.

Cette rémunération, qui complète le salaire, est censée aligner les intérêts des dirigeants avec ceux des actionnaires, et les fidéliser puisque le versement ne se fait qu’après plusieurs années et uniquement si l’entreprise a atteint des objectifs fixés à l’avance. Mais une disposition de la loi Macron, adoucissant la fiscalité pour les plus-values, a rendu particulièrement attractives les actions gratuites, dites « de performance ».

D’où une inflation des packages de rémunération. Dans une étude de Proxinvest, la société de conseil en vote pour les actionnaires, publiée fin 2018, cette rémunération à long terme des dirigeants se chiffrait jusqu’à une vingtaine de millions d’euros pour la seule année 2017 au profit du Top-5 : Bernard Charlès (21,8 millions d’euros), Olivier Brandicourt, le directeur général de Sanofi (6,8 millions), Jean-Paul Agon (5,3 millions), Carlos Ghosn, ex- PDG de Renault, actionnaire de Challenges (4,6 millions) et même Bernard Arnault, PDG et premier actionnaire de LVMH, qui n’a jamais voulu renoncer à l’exercice de considérables plans de stock-options (4,5 millions d’euros pour 2017). Sachant qu’un PDG peut rester vingt ans à la tête de son groupe, et même davantage s’il est actionnaire, une simple multiplication donne la dimension du phénomène.

Une mention spéciale doit être faite pour Olivier Brandicourt. Depuis seulement quatre ans à la tête de Sanofi, il a déjà l’assurance de recevoir plus de 20 millions d’euros, qui deviendront définitivement sa propriété avant mai 2021. Une addition qui fait grincer des dents alors que ce patron de 62 ans vient d’annoncer son départ à la retraite en septembre, soit trois ans avant la fin de son mandat. Mais Sanofi avait dû sortir son carnet de chèques pour le débaucher de chez le géant allemand Bayer en 2015 :

Le mercato des patrons est mondial et les salaires français doivent s’aligner au niveau international, justifie Jérémie Jeausserand, Avocat fiscaliste et membre de CroissancePlus.

Bernard Charlès et Jean-Paul Agon ont connu des situations différentes. Ayant effectué toute leur carrière chez Dassault Systèmes et L’Oréal, dirigeant l’entreprise depuis respectivement vingt-quatre et quatorze ans, ils leur ont donné une tout autre dimension : Agon a ainsi fait progresser la capitalisation boursière de L’Oréal de près de 70 milliards d’euros, installant l’action sur le podium des trois premières valeurs de la place de Paris. Certes, L’Oréal et la principale famille actionnaire, les Bettencourt, ont toujours gâté leurs dirigeants sur la rémunération de long terme.

Mais lors de l’Assemblée générale de L’Oréal en avril dernier, Jean-Paul Agon a tenu à mettre les points sur les « i » : « Je rappelle, pour ceux qui ne le savaient pas, que toutes mes économies sont dans L’Oréal. Tout ce que je gagne, je le réinvestis intégralement en actions L’Oréal. » Et de nous signaler qu’il s’est personnellement endetté pour acheter une partie de ce patrimoine.

D’après le cabinet spécialisé dans la gouvernance d’entreprise Ethics & Boards, la rémunération en actions a représenté en moyenne entre 30 et 33 % par an de la rémunération totale des dirigeants du CAC 40 depuis 2014. « Mais il ne faut pas que ce soit perçu comme “gratuit” par les dirigeants, car ce sont les actionnaires qui paient ces actions », s’exclame Charles-Henri d’Auvigny, le président de Fédération des investisseurs individuels et des Clubs d’investissement (F2ic). Jean-Philippe Roulet, secrétaire général du Haut Comité de gouvernement d’entreprise (HCGE), créé en 2013 par l’Afep et le Medef, en rappelle les règles : « Les conditions de performance doivent être évaluées sur plusieurs années. » Carlos Ghosn l’a appris à ses dépens : « En raison de sa démission, la condition de présence applicable aux actions de performance attribuées pour les exercices de 2015 à 2018 ne pourra être remplie », détaille le dernier document de référence. L’équivalent d’une vingtaine de millions d’euros s’est ainsi envolé pour l’ex-PDG, qui avait déjà engrangé, après vingt-quatre ans passés chez Renault, plus de 50 millions. De quoi se consoler.

Par Damien Pelé