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octobre 2025

#Média - Management packages, la réforme au milieu du gué

Interview de Pascal Gour, qui livre son regard au média Le Nouvel Économiste sur les débats autour de la réforme des management packages, en particulier sur les zones d’ombre persistantes et les répercutions pour les dirigeants, managers et investisseurs.

Les efforts de rationalisation sont bien là, mais ne lèvent pas toutes les incertitudes

Depuis plusieurs mois, le débat sur la réforme des management packages en France agite les sphères économiques et politiques. Avec la volonté première d’en traquer les abus et de mettre fin aux zones d’incertitudes les concernant, mais aussi de moderniser la gouvernance des entreprises, d’attirer les talents, le gouvernement a posé les bases d’un texte supposé fournir un cadre permettant de structurer ces mécanismes sans risquer une requalification du traitement des plus-values par l’administration. Mais cette réforme suscite aussi des réserves et semble à bien des égards inachevée. L’instabilité politique n’arrangeant rien.


Les managements packages ont suscité beaucoup de discussions ces derniers mois, lesquelles ont abouti à une réforme qui, malgré des progrès, laisse un goût d’inachevé. Mais pour bien comprendre ce qui se joue actuellement, il est utile de résumer les épisodes précédents. Ces outils de rémunération variable (actions gratuites, stock-options, BSCPE, mais aussi actions de préférence par exemple, y compris les titres logés dans un PEA) contribuent à la stratégie de motivation des dirigeants, des fondateurs et des cadres supérieurs actionnaires, l’idée étant de leur proposer d’investir dans des instruments capitalistiques à risque pour pouvoir revendiquer un gain en plus-value. “Ils sont souvent utilisés (mais pas exclusivement) dans le cadre de LBO pour favoriser un alignement d’intérêts avec ceux des investisseurs”, précise Thibault Cassagne, responsable de l’ingénierie patrimoniale à Échiquier Gestion privée. Lors de leur création, les management packages n’étaient pas considérés comme des éléments de rémunération, mais plutôt comme des sources de plus-value. Il s’agissait de fédérer les talents en les intéressant au succès futur de l’entreprise.

Une plus-value est moins taxée qu’un salaire, tant fiscalement que socialement.” Soit, selon l’administration, un avantage indu pour les bénéficiaires et un manque à gagner pour les finances publiques.

L’administration s’en mêle

Après avoir été une pierre angulaire des LBO, leur utilisation s’est généralisée dans les grands groupes cotés et les start-up en forte croissance. Ce qui a ajouté de l’eau au moulin du débat sur la rémunération (jugée trop favorable par certains) des dirigeants d’entreprise, et, forcément, attiré l’attention de l’administration fiscale et sociale.

Pascal Gour, associé Jeausserand Audouard : Les pouvoirs publics se sont intéressés aux management packages parce qu’ils considéraient que les conditions d’accès au capital étaient trop favorables, soit parce que les outils n’étaient pas payés à leur juste prix (avantage à l’entrée), soit du fait de l’absence de prise de risque.

Se posait aussi la question de savoir s’il s’agissait d’une plus-value ou d’éléments de rémunération, analyse Roseline Charasse, directrice Ingénierie patrimoniale Ile-de-France chez CIC Banque Privée. Car une plus-value est moins taxée qu’un salaire, tant fiscalement que socialement.

Soit, selon l’administration, un avantage indu pour les bénéficiaires et un manque à gagner pour les finances publiques. Cela a notamment débouché en 2014 sur une interdiction de déposer titres logés dans les management packages sur les PEA. Et en 2021, sur un arrêt du Conseil d’État.

Un arrêt du Conseil d’État qui donne un premier cadre

La grille de lecture donnée par le Conseil d’État a consisté à rechercher les liens entre les fonctions – soit de salariés, soit de dirigeants – et le niveau de gain réalisé par les personnes bénéficiant d’un management package.

Pascal Gour, associé Jeausserand Audouard : Depuis 2021, l’administration s’intéresse à des documents comme le contrat de travail ou le pacte d’actionnaires, pour savoir si le salarié est un véritable actionnaire, s’il a le droit de disposer de ses titres, selon quelles contraintes, si on peut les lui racheter lorsqu’il quitte l’entreprise, si le prix de rachat est lié aux conditions du départ. Ceci afin de décider si les gains éventuellement réalisés constituent des plus-values ou des salaires.

Cette grille de lecture restait cependant à la fois large et subjective. Il était parfois compliqué de distinguer avec certitude si une rémunération d’un management package correspondait à un rôle d’investisseur ou était une rémunération pour un travail salarié. “Cela provoquait de l’incertitude pour les entreprises et les personnes concernées, et une augmentation du nombre de contentieux entre l’administration et les contribuables (salariés, managers, entreprises) dans le cadre d’une requalification en salaires” explique Roseline Charasse. Il fallait donc mieux définir les management packages, et c’est ce qu’a tenté de faire un texte logé dans la loi de finances 2025, avec pour objectif de concilier performance économique, équité sociale et attractivité internationale – un équilibre délicat s’il en est.

Les grands axes de la réforme

Dans les grandes lignes, la réforme, portée par le ministère de l’Économie, s’articule autour de plusieurs axes principaux. Les management packages devront désormais être indexés sur des critères de performance sur le long terme (de 3 à 5 ans) et non plus seulement sur des critères annuels. Ceci afin d’éviter les effets pervers court-termistes et inciter les dirigeants à construire une stratégie durable. La transparence est renfoncée, c’est-à-dire que les entreprises devront publier un rapport détaillé sur les critères de calcul des rémunérations variables, soumis à l’approbation des actionnaires en assemblée générale. Les “parachutes dorés” sont limités, c’est-à-dire que les indemnités de départ des dirigeants seront plafonnées à deux ans de rémunération fixe, contre trois ans actuellement, sauf cas exceptionnels justifiés.

Le législateur a également fixé un niveau de performance au-delà duquel la fiscalité va devenir plus forte, soit trois fois la performance réelle de la société basée sur ses capitaux propres. “Cela signifie que, si les outils d’accès au capital dont vont bénéficier les personnes concernées permettent de réaliser une plus-value trois fois supérieure à la performance de l’entreprise, la fraction qui dépasse sera taxée comme des salaires, alors que celle qui reste dans les clous le sera comme des plus-values. Mais rappelons tout de même que ce seuil n’est pas toujours atteint”, décrypte Thibaut Cassagne. Même si la réforme tente réellement de limiter les rémunérations indues et de poser des règles, elle reste sans doute trop dans les clous de la grille de lecture du Conseil d’État, et laisse de nombreuses zones d’ombre, ou du moins de règles sujettes à interprétation.

Si le flou persiste ou si la France durcit trop ses règles, les talents risquent d’aller se positionner à l’international, ce qui engendrait une perte de compétitivité pour le pays.

Encore des questions en suspens

Par exemple, sur la question de la définition du lien entre les fonctions et le gain, le texte ne résout encore pas tout à fait les problèmes posés.

Pascal Gour, associé Jeausserand Audouard : La conséquence du dispositif c’est que le contribuable, aidé par ses conseils, doit lui-même déterminer si oui ou non, son gain a une nature salariale, et le déclarer en conséquence. Et si l’administration considère qu’il s’est trompé, il y a un risque de redressement. D’une certaine façon, il y a donc une sorte de renversement de la charge de la preuve, avec un cadre qui n’est pas si sécurisant que cela.

Cette incertitude persistante se retrouve aussi dans le moment où la taxation doit avoir lieu. “Quand on réalise des opérations de LBO, on va souvent réinvestir une partie de son capital dans la nouvelle opération par des apports de titres ; or, on ne sait pas à ce jour de façon certaine si cela génère une taxation à ce moment pour les management packages, ou si elle sera décalée à plus tard comme pour des actions…” prévient Roseline Charasse. “L’administration fiscale semble plutôt favorable au décalage de l’imposition, mais cela n’est pas écrit noir sur blanc dans la loi.” On ne sait pas non plus précisément comment la réforme va opérer dans le cadre des donations avant cessions. Cette pratique, très utilisée dans le cadre des transmissions d’entreprise, permet en effet de réduire – voire d’annuler – l’impôt sur la plus-value, puisque la valeur retenue pour son calcul est celle mentionnée dans l’acte de donation. Autre source d’incertitude, la réforme porte sur les cessions intervenues après le 15 février 2025, mais pour celles intervenues avant, le risque d’enquête du fisc et de requalification des management packages demeure…

Retour à la case départ  ?

Or, l’instabilité politique consécutive à la dissolution de l’Assemblée nationale de 2024, la chute de plusieurs gouvernements, les incertitudes actuelles tout comme la difficulté de boucler le budget 2025, risquent de reporter à 2026, voire à 2027, une clarification du texte. En attendant, ce serait donc à nouveau à l’administration et aux tribunaux d’interpréter la loi. Retour à la case départ, donc… Avec des conséquences pour l’économie française. En effet, si le flou persiste ou si la France durcit trop ses règles, les talents risquent d’aller se positionner à l’international, ce qui engendrait une perte de compétitivité pour le pays.

Aux origines des management packages

Le management package est intrinsèquement lié au LBO (ou leverage buy out, ou rachat avec effet de levier), c’est-à-dire un montage financier permettant le rachat d’une entreprise en ayant recours à l’endettement. Il existe plusieurs types de LBO selon que l’entreprise est rachetée par des cadres dirigeants – on parle alors de Leveraged Management buy out (LMBO) –, par des investisseurs extérieurs (LBI), ou un mix des deux (BIMBO). Les management packages sont ainsi apparus dans le contexte des LBO pour motiver les équipes et les intéresser à la création de valeur. Au-delà de la rémunération pure, le principe est de leur permettre par divers mécanismes d’accéder (soit en payant, soit de manière gratuite) au capital de l’entreprise, et de leur permettre de capter une partie de la plus-value au moment du changement d’investisseur financier, de la vente ou de la cotation de l’entreprise.

Pascal Gour, associé Jeausserand Audouard : Mais depuis quelques années, cette solution d’intéressement s’est généralisée. Le management package est devenu un outil de recrutement qui va bien au-delà des sociétés sous LBO. Offrir la possibilité aux managers, salariés et dirigeants d’entrer au capital pour leur permettre de partager la plus-value est devenu une pratique répandue, y compris dans les groupes familiaux.

Le développement des start-up a aussi boosté l’essor des management packages. Ces entreprises ne pouvaient en effet pas promettre des salaires mirobolants aux talents qu’elles cherchaient à attirer, par manque de fonds propre, et souvent de rentrées d’argent. En revanche, elles les motivent en leur faisant miroiter une entrée au capital, et donc la possibilité de toucher le gros lot en cas de revente de l’entreprise, par exemple.

Bien ficeler un management package

Malgré la réforme portée par la loi de finances 2025, des incertitudes importantes demeurent concernant la fiscalité des management packages. Voici donc quelques conseils pour les mettre sur de bons rails. “Il faut définir les objectifs et la stratégie tant de la société que des managers, et rechercher un alignement d’intérêts entre les différents types d’investisseurs”, explique Roseline Charasse. “Le problème toutefois est qu’un dirigeant ne peut pas mettre les mêmes moyens financiers qu’un investisseur qui a des capitaux. Il faut donc trouver une solution pour lui permettre d’avoir accès au capital sans pour autant que la répartition du gain ne soit complètement disproportionnée par rapport à sa participation.” Il s’agit dès le départ de prendre en compte les risques de basculement en taxation de type salaires des éléments qui avaient été pensés comme des éléments de plus-values. Ou encore, limiter le nombre de personnes pouvant se prévaloir des packages.

Dans le détail, un package peut combiner plusieurs éléments, chacun avec des implications fiscales et sociales différentes : salaire fixe soumis à l’IR (barème progressif) + cotisations sociales (environ 45-50 % pour l’employeur), bonus/variable lié à la performance individuelle ou collective, soumis à l’IR + cotisations sociales (souvent assimilé à du salaire), des stock-options, qui donnent droit d’acheter des actions à un prix fixe dans le futur (avantages fiscaux sous conditions, abattement possible après 3 ans de détention), des bons de souscription de parts de créateur d’entreprise ou BSPCE (start-up) et leur régime fiscal avantageux (exonération partielle sous conditions), des actions gratuites (attribution d’actions sans contrepartie financière) soumises à l’IR (régime des plus-values) + cotisations sociales (sauf exception)… Autant d’éléments de rémunération qui viennent s’ajouter à des dispositifs touchant les effectifs de façon plus large, comme la participation, les avantages en nature, l’intéressement, la retraite complémentaire ou encore l’assurance santé/prévoyance.

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