juin 2025

#Entretien – Comment coordonner les différentes temporalités des conseils ?

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Dans le cadre d’une formation dédiée aux professionnels du patrimoine, notre expert Ronan Lajoux et Pierre-Yves Lagarde, associé chez IMANI & YOU by HEREZ, et FAC & ASSOCIES ont échangé sur les temporalités qui diffèrent entre les conseillers patrimoniaux, « du temps long », et les autres conseils engagés dans la mise en œuvre d’opérations capitalistiques complexes.

Quels sont les leviers des conseils historiques quand le calendrier s’accélère et que les enjeux financiers explosent ? Quels sont les étapes stratégiques à considérer pour assurer une coopération efficace ?

Ouvrir son capital à de nouveaux associés

Entretien croisé entre Pierre-Yves Lagarde, conseil auprès des dirigeants, sur le temps long de la structuration patrimoniale et Ronan Lajoux, avocat spécialisé en M&A et private equity, conseil auprès des mêmes dirigeants, mais dans le temps plus court et plus intense des processus de cession ou d’investissement.

Cet échange résulte d’une formation FAC & ASSOCIES, à laquelle a également participé David PARENT, notaire spécialiste de la transmission, qui interviendra dans la seconde partie de cet entretien.

Ne pas sortir du 1er cercle des conseils au moment décisif de la cession du patrimoine professionnel

Les dirigeants rendent liquides leur patrimoine professionnel de plus en plus tôt. Ils font intervenir à cet effet de nouveaux conseils, banquiers d’affaires, fonds d’investissement et avocats spécialisés. Quels sont les leviers des conseils historiques et de long terme (métiers du patrimoine, experts-comptables, notaires, … ) pour rester indispensables, au moment où le calendrier s’accélère et les enjeux financiers explosent ?

I - Le dirigeant ne meurt plus dans son entreprise

Pierre-Yves Lagarde

Depuis quelque temps, je suis frappé par une tendance de fond : mes clients dirigeants vendent tout ou partie de leur entreprise de plus en plus tôt.

À 40, 45 ou 50 ans, parfois même avant, ils se retrouvent confrontés à des opérations de cession ou d’ouverture du capital. C’est une nouvelle donne pour nous, conseils patrimoniaux de long terme. Et c’est dans ce contexte que j’ai commencé à collaborer avec toi Ronan.

Le positionnement du cabinet Jeausserand Audouard, un cabinet ultra spécialisé et leader de son marché, qui accompagne les dirigeants et entrepreneurs, et non les fonds, est particulièrement précieux pour nous. Nous avons les mêmes clients.

Ronan Lajoux

Je suis complètement aligné Pierre-Yves, cette dynamique est très nette. On voit aujourd’hui une véritable multiplication des opérations d’ouverture du capital.

Et les objectifs poursuivis varient : certains veulent réorganiser le capital social, associer leurs salariés via des mécanismes comme les actions gratuites ou les BSPCE, faire entrer un investisseur financier pour soutenir la croissance… ou permettre à un fondateur de dégager des liquidités, sans nécessairement quitter ses fonctions opérationnelles.

Les configurations sont multiples, mais toutes s’inscrivent dans des calendriers resserrés et des processus juridiquement et fiscalement très structurés.

La financiarisation plus précoce et fragmentée du patrimoine professionnel est une mutation avérée, à laquelle le conseiller du temps long doit adapter sa pratique. Pour continuer à jouer un rôle central dans la stratégie patrimoniale de son client, il lui faut coopérer efficacement avec de nouvelles branches du conseil banquiers d’affaires, fonds d’investissement et avocats spécialisés – tout en veillant à la cohérence globale des décisions prises.

II - Des temporalités antagonistes s’affrontent

Pierre-Yves Lagarde :

Et c’est là que se joue un vrai défi pour moi. Nos temporalités sont très différentes, même si elles s’entrechoquent. Ton univers, c’est celui des opérations de 6 à 18 mois. Le mien, c’est le temps long : organiser la protection, la transmission, optimiser la rémunération dans une trajectoire de 10 ou 20 ans.

Quand on parle d’un dispositif comme le Dutreil, par exemple, la logique est à priori complètement différente de celle d’un fonds qui s’inscrit dans une logique de sortie future sans encombre. Mais pour mon client, ces deux logiques coexistent. Alors si je ne parviens pas à comprendre les étapes de l’opération, si je ne suis pas capable d’y apporter de la valeur à ce moment stratégique, je deviens inutile. Et le risque est clair : je sors du cercle restreint des conseils de confiance… au moment précis où mon client devient riche et liquide !

Ronan Lajoux

C’est aussi pour éviter cela qu’on a conçu ensemble cette formation. Elle ne transforme pas un conseiller patrimonial en juriste spécialisé sur les opérations de M&A et private equity, mais elle lui permet de lire les mécaniques à l’œuvre, de se positionner dans le bon tempo, et surtout de faire valoir ce que personne d’autre ne maîtrise à sa place : la cohérence patrimoniale du dirigeant.

Soyons honnêtes : l’architecte du temps long peut rapidement devenir urticant pour des équipes M&A qui travailleront nuits et jours pour sortir un deal le plus vite possible. Premier point d’achoppement classique : les 6 ans du Dutreil. Bien souvent, priorité est donnée au deal, mais sans éliminer les solutions patrimoniales non bloquantes, à cause d’une analyse insuffisamment fine. Tout est une question d’équilibre et dans bien des situations nous arrivons à conjuguer les impératifs de l’opération capitalistique avec les contraintes patrimoniales à long terme.

III - Pour bien coopérer, il faut comprendre les objectifs et contraintes de l’autre

Pierre-Yves Lagarde

Ronan, peux-tu nous résumer la logique de réflexion que je dois savoir identifier dans ces opérations, sans prétendre évidemment les piloter ?

Ronan Lajoux

Le processus d’ouverture du capital se construit selon une grille de décision structurée, que nous avons simplifiée pour en donner les clés au conseiller généraliste. Il s’articule en trois grandes étapes, qui combinent objectifs stratégiques, outils juridiques et arbitrages économiques.

1. Identifier le ou les objectifs de l’opération

  • Générer des liquidités pour un fondateur sans dilution excessive (respiration capitalistique).
  • Permettre la sortie partielle ou totale d’un associé.
  • Renforcer l’actionnariat salarié ou celui d’un manager clé.
  • Financer un nouveau cycle de développement par l’entrée d’un investisseur financier.
  • Rééquilibrer la gouvernance.

2. Choisir les instruments adaptés

  • Pour les salariés : actions gratuites, BSPCE, stock-options et/ou instruments payants.
  • Pour les associés existants : cession, réinvestissement, émission d’actions de préférence.
  • Pour les investisseurs financiers : structuration de la gouvernance, répartition de la création de valeur (management package).
  • Pour l’ensemble : arbitrage dette/capital, clauses de liquidité, earn-out éventuels.

3. Articuler ces instruments avec les contraintes patrimoniales

  • C’est ici que le conseil du temps long apporte sa valeur. Par exemple, il vérifiera les effets de l’opération sur la protection sociale et le régime matrimonial. Il étudiera la cohérence du deal avec les projets de transmission ou de donation. Et bien sûr il préparera la répartition future des liquidités.

Le conseiller du temps long enrichit beaucoup son conseil en comprenant la grille d’analyses et de décisions de l’équipe M&A, c’est certain. Mais la réciproque vaut également. Reprenons l’exemple du répulsif absolu, le Dutreil. Il en existe 4 : défensif, offensif, de camaraderie et cynique. Le conseil en M&A améliore également sa pratique en nuançant son conseil avec ces subtilités.

IV - Matrice de coopération (partie I)

Cette matrice résume les principales interactions traitées dans notre formation commune et inspirées par la pratique de dossiers communs.

Au terme de la deuxième partie de cet entretien, qui intégrera l’éclairage de David Parent, notamment sur l’interposition des différents schémas de donation possible, nous présenterons la matrice de coopération complète entre les conseillers du temps long, les avocats en charge du deal et le notaire spécialiste de la transmission.

Matrice de coopération (partie I)