septembre 2015

#Entretien - Eclairage sur les management packages

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L’essor en France du private equity au cours des vingt dernières années a été accompagné de la sophistication des management packages, à tel point que les managers, au même titre que les investisseurs financiers, sont désormais assistés par leurs propres conseils, tant sur les aspects financiers que juridiques et fiscaux.

Pour ces derniers, le sujet n’est toutefois pas statique : en effet, diverses évolutions récentes ont profondément modifié le mode de raisonnement des praticiens confrontés à la mise en place de management packages. La question est plus que jamais d’actualité. Jérémie Jeausserand et Tristan Audouard reviennent sur la pratique des management packages en trois questions.

Quels sont les outils utilisés dans la structuration des management packages ?

Les management packages sont issus de la pratique des acteurs du private equity : soucieux d’associer les managers à la création de valeur en sortie de LBO, les investisseurs financiers ont très vite proposé au top et au middle management des sociétés cibles d’acquérir des outils financiers permettant de capter une partie de la plus-value générée au cours du LBO, le principe étant en général un désalignement des opportunités de gains et des risques de pertes entre le manager et l’investisseur financier. Par ailleurs, les acteurs du private equity ont parfaitement conscience de la nécessité que le management soit financièrement à risque dans l’opération afin que celle-ci ait un maximum de chances d’être financée : il en va en effet de la crédibilité du business plan du management et donc de la capacité de l’acquéreur à lever de la dette.

Si les outils gratuits ont pu être beaucoup utilisés par le passé (mais quasiment toujours couplés à des outils payants), que ce soit les outils classiques d’actionnariat salariés type stock-options ou actions gratuites d’une part, ou encore les promesses de vente d’actions ou les bons de souscription d’actions (BSA) accordés gratuitement d’autre part, l’alourdissement de la fiscalité des premiers, couplée à la multiplication des contrôles et des redressements fiscaux pour les seconds (voir ci-dessous) ont rendu relativement rare leur utilisation.

Les actions gratuites devraient néanmoins connaître une seconde jeunesse grâce à la « loi Macron » récemment adoptée[1], laquelle a notamment pour effet d’aligner leur fiscalité sur celle des plus-values ordinaires[2] et de réduire leur période d’indisponibilité. Nul doute que les management packages structurés sous la forme d’une attribution gratuite d’actions et d’un investissement « pari passu »[3] devraient se développer dans le futur, notamment du fait de l’absence de risque de requalification en salaires du gain ainsi réalisé[4]. Il convient toutefois de noter que les actions gratuites ne sont pas sans poser quelques difficultés d’ordre juridique pour les investisseurs financiers (notamment en cas de départ du salarié ou de restructuration du capital).

S’agissant des outils payants, en fonction des accords négociés, le manager investira dans les mêmes types d’outils que ceux de l’investisseur financier (acquisition d’actions et, le cas échéant, d’obligations ou outils équivalents) ou dans des outils spécifiques dits « ratchet », notamment des BSA ou des actions de préférence. Si les BSA sont apparus très tôt dans la structuration des management packages, leur utilisation s’est sophistiquée au fil des années : initialement attribués gratuitement (ou moyennant une contribution modique), les BSA ont ensuite fait l’objet de rapports de valorisation détaillés, établis par des experts indépendants, afin de renforcer la solidité fiscale de l’investissement des managers (voir ci-dessous). Mais du fait de la réforme du régime fiscal des plus-values de cession de valeurs mobilières intervenues en 2013, les BSA ne sont plus utilisés, faute de pouvoir bénéficier d’un abattement pour durée de détention sur le calcul de la plus-value imposable.

Quant aux actions de préférence, introduites en droit français en 2004, elles ont commencé à se développer réellement en 2007 car elles offraient une souplesse dont ne bénéficiaient pas les BSA (notamment dans le cadre des introductions en bourse), et sont aujourd’hui largement répandues. A noter enfin que les promesses de vente consenties par l’investisseur financier au profit du manager (call option « ratchet »), gratuitement ou moyennant le paiement d’une indemnité d’immobilisation, ont totalement disparu des management packages compte tenu du fort risque fiscal qu’elles comportaient.

Ce risque fiscal a d’ailleurs été confirmé par un arrêt rendu le 26 septembre 2014 par le Conseil d’Etat[5]. Malgré son caractère historique, cette décision est intéressante dans la mesure où, si le Conseil d’Etat a confirmé la requalification en salaires du gain réalisé par un dirigeant dans le cadre de l’exercice d’un call option, la lecture attentive de la décision et des conclusions du rapporteur public est rassurante pour les contentieux en cours portant sur des management packages structuré sous forme de valeurs mobilières : il semble en effet s’agir d’une décision d’espèce, fondée sur des faits extrêmement particuliers, et non d’une décision de principe dont la solution serait transposable à l’ensemble des gains issus de management packages[6].

L’administration fiscale appréhende-t-elle facilement les mécanismes financiers en jeu dans un management package ?

Lors du contrôle d’un management package, l’administration fiscale se heurte à trois types de sujets financiers :

  • la valorisation du management package à l’entrée et à la sortie du LBO ;
  • l’appréhension du risque financier pris par le manager ;
  • la compréhension du mécanisme de TRI, ou de multiple de l’investissement, qui conditionne le déclenchement du management package.

La question de la valorisation à l’entrée se pose surtout lorsque le manager investit dans des outils spécifiques (BSA ou actions de préférence) lui donnant potentiellement droit à une part préférentielle de plus-value, sous réserve de la réalisation de certains critères de performance par l’investisseur financier (généralement TRI ou multiple). Il s’agit dans ce cas de valider que le manager ne bénéficie d’aucun avantage, le paiement d’un « prix de marché » de l’outil optionnel étant l’une des conditions nécessaires pour éviter la requalification en salaire[7].

De manière générale, s’agissant de la valorisation à l’entrée ou à la sortie du LBO, nous pouvons constater que l’administration fiscale a nettement affiné ses analyses au cours des dernières années en se dotant de brigades spécialisées. Si la valorisation à la sortie ne pose pas de difficulté particulière[8], la valorisation à l’entrée est autrement plus délicate. A cet égard, l’administration fiscale met en œuvre les méthodes usuelles de valorisation des outils optionnels (Black & Scholes principalement). Néanmoins, l’administration fiscale a malheureusement encore trop souvent tendance à retenir des hypothèses (en termes de comparables, volatilité, probabilités de sortie, …) fondées sur une analyse de l’opération a posteriori, et parfois pas nécessairement impartiales… Mais après tout, n’oublions pas que l’évaluation n’est pas une science exacte.

S’agissant ensuite de l’appréhension du risque financier pris par le manager, c’est parfois avec une certaine dose d’audace que l’administration fiscale en vient à nier la nature risquée de l’investissement effectué (alors même qu’à l’effet de levier inhérent au LBO se rajoute une condition de performance qui vient encore restreindre les probabilités de déclenchement du management package). C’est ainsi par exemple que l’administration fiscale a pu soutenir qu’un seuil de déclenchement à, par exemple, 12% de TRI était assuré d’être atteint (donc sans risque) dans la mesure où le TRI de l’investisseur financier s’était en pratique révélé très nettement supérieur en sortie de LBO. De même, l’administration fiscale va parfois jusqu’à soutenir des thèses non fondées juridiquement, comme le fait que les managers pourraient « piloter » le TRI dans la mesure où ils décideraient des remontées de cash au cours du LBO… Il est difficile de déterminer si ce genre d’arguments relève d’une incompréhension des mécanismes financiers en cause ou tout simplement d’un argumentaire développé sans grande conviction dans le seul but de maintenir une position contentieuse en vue de négociations futures.

C’est lors de discussions sur la notion de TRI ou de multiple de l’investissement que les écarts entre la réalité financière et la perception de l’administration fiscale sont les plus flagrants. Ainsi, pour l’administration fiscale, un TRI ou un multiple élevé ne serait rien d’autre que la manifestation d’une augmentation importante des performances opérationnelles des sociétés cibles. L’outil « ratchet » se déclenchant en fonction d’un TRI ou d’un multiple de l’investissement ne serait donc qu’une forme de bonus déguisé visant à récompenser le salarié pour ses efforts en vue de contribuer à la croissance des résultats du groupe. L’administration fiscale en vient parfois même à oublier que le TRI ou le multiple de l’investissement ne se mesure pas au niveau de la société opérationnelle, mais au niveau de l’investisseur financier, et que ces indicateurs financiers sont fortement impactés par des éléments extrinsèques à la société.

Ainsi, des études, dont la lettre Vernimmen se faisait l’écho en 2010, analysaient la décomposition du TRI réalisé par les fonds de private equity au cours de la période 1979-2007[9] : seulement 29% du TRI était dû à une croissance de l’EBE, le reste se décomposant en (i) une amélioration de la génération des flux de trésorerie (cash-flows) permettant le désendettement rapide (et donc notamment une réduction du coût de l’endettement), (ii) l’effet de levier financier et (iii) l’augmentation des multiples de valorisation. Ainsi, ce sont surtout des facteurs extrinsèques à l’entreprise qui contribuent à l’augmentation du TRI. Il existe même des cas dans lesquels le TRI de l’investisseur financier a été très élevé malgré une stagnation des résultats opérationnels du groupe, du simple fait d’une augmentation des multiples de valorisation de marché entre l’entrée et la sortie du LBO.

L’évolution de la législation fiscale a-t-elle été un frein au développement des management packages ?

La fiscalité française des plus-values de cession de valeurs mobilières a incontestablement évolué dans un sens défavorable ces dernières années, mais ce n’est que le reflet d’une inflation générale des taux d’imposition dans notre pays. Aujourd’hui, avec un taux d’imposition compris entre 31% et 38%[10] en fonction de la durée de détention des titres, l’imposition est relativement conséquente mais reste de loin plus intéressante que l’imposition du salaire[11]. Par ailleurs, si l’utilisation du PEA a été fortement réduite depuis deux ans (du fait de l’impossibilité, depuis le 1er janvier 2014, d’y loger des BSA et des actions de préférence), celui-ci reste adapté pour l’investissement en actions ordinaires des managers.

En outre, la profonde réforme du régime fiscal des plus-values de cession de valeurs mobilières a largement modifié les réflexes des praticiens. Ainsi, les gains sur certaines valeurs mobilières sont désormais taxés au barème progressif de l’impôt sur le revenu, sans abattement. Il en est ainsi des gains sur BSA et sur obligations (sèches ou convertibles), de sorte qu’en pratique, ces instruments ne sont pratiquement plus utilisés dans le cadre des nouveaux management packages.

Ces diverses évolutions ont fait évoluer la structuration des management packages vers davantage de « sweet equity »[12] et moins de « ratchet ».

Par ailleurs, la pratique des redressements fiscaux quasi-systématiques et relativement agressifs (avec des pénalités pour abus de droit de 80%) a probablement rendu les acteurs du secteur plus prudents : ainsi, le conseil devra valider avec beaucoup plus de soin que par le passé l’ensemble de la documentation d’investissement du manager, tandis que ce dernier aura intérêt, à l’occasion d’un LBO secondaire ou tertiaire, à « précompter » le risque lié à sa plus-value initiale avant de déterminer sa quote-part de réinvestissement, et à placer en « bon père de famille » une part significative de son cash-out dans l’attente du résultat d’un éventuel contrôle fiscal. Ainsi, si l’évolution de la législation fiscale et des pratiques de l’administration fiscale en matière de contrôle et de contentieux n’ont clairement pas freiné le développement des management packages, il peut en revanche être relevé une structuration de plus en plus fréquente des centres de décision de groupes sous LBO hors de France.

Références

[1] Projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques adopté le 10 juillet 2015. A la date de rédaction du présent article, la loi n’est pas encore promulguée dans l’attente de la décision du Conseil constitutionnel.
[2] L’employeur restant néanmoins redevable d’une contribution patronale de 20% au jour de l’attribution définitive des actions.
[3] i.e. mix d’outils offrant un retour identique à celui de l’investisseur financier.
[4] Si l’ensemble des conditions légales prévues par le Code de commerce, notamment les périodes d’indisponibilité, sont respectées, et en l’absence d’autre élément susceptible d’être analysé par l’administration fiscale comme constituant un avantage pour le manager.
[5] Cet arrêt est d’ailleurs la toute première décision de la juridiction suprême en matière de management package.
[6] Le Conseil d’Etat semble s’être appuyé sur la structuration du mécanisme (le contrat d’option étant similaire à un mécanisme de stock-options) et sur le faible risque pris par le manager comparé au gain réalisé (13 k€ investi pour un gain de 2 m€). Sans se prononcer ici sur la pertinence du raisonnement du Conseil d’Etat, la portée de sa décision sera selon nous très limitée compte tenu des éléments de fait propres à l’affaire jugée (pour un commentaire détaillé des décisions de la Cour administrative d’appel de Paris et du Conseil d’Etat, voir les numéros 17 (25 avril 2013) et 47 (20 novembre 2014) de la Revue de Droit Fiscal).
[7] A cet égard, il peut être relevé que, parmi les éléments pris en compte par le Comité de l’abus de droit lors de litiges portant sur une requalification en salaires de la plus-value, l’absence de minoration du prix d’acquisition est une condition nécessaire (mais non suffisante) : voir par exemple les avis n° 2014-16 et suivants de la séance du Comité du 7 novembre 2014.
[8] Il suffit en effet de valider le calcul du TRI ou du multiple pour ensuite vérifier si la grille de rétrocession prévue ab initio a été correctement appliquée.
[9] La lettre Vernimmen, n° 84, février 2010.
[10] Hors contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et déductibilité de la CSG.
[11] Dans la mesure notamment où elle ne supporte pas de charge sociale salariale ou patronale.
[12] i.e. ratio d’investissement actions/obligations des managers supérieur à celui de l’investisseur financier.