Constat présent
Le premier constat est que le marché est resté en activité. Une fois passées les 2 à 3 premières semaines de confinement à analyser ce qui arrivait, à comprendre les mécanismes d’aides publiques et à aider leurs participations, les fonds de private equity se sont remis à la recherche d’opportunités. Beaucoup d’argent a été levé dans les mois / années récentes et doit être déployé. Certains doivent même absolument finir d’investir les véhicules précédents pour déclencher les nouveaux, récemment levés.
Nous ne sommes certes pas dans la situation précédant le COVID-19 où les LP’s mettaient une certaine pression aux équipes de gestion pour déployer. Nous sommes juste dans un moment où les fonds veulent faire leur job : investir en visant de servir un TRI performant pour un risque donné et engranger de fait leur frais de gestion (leur chiffre d’affaires). Ce qui prime le plus possible est le risque pris. C’était déjà le cas, dans une certaine mesure, avant la crise. En LBO, le loss ratio était devenu presque autant important que le TRI car dans un marché à taux sans risque négatif, faire une performance fut-elle à un TRI moindre que d’habitude est plus important que le risque de perdre de l’argent sur une participation. D’où la forte progression des valorisations et des transactions dans le secteur du logiciel par exemple dont le revenu est particulièrement récurrent. Mais aujourd’hui, cette aversion pour le risque s’est exacerbée à tel point que seuls les dossiers dont l’activité demeure prédictible malgré le confinement et la pandémie sont étudiés.
Partant de là, se distinguent quatre types de dossiers en LBO :
- Les “exceptionnels”, ceux qui sortent du lot : il s’agit là des sociétés dont l’activité n’est pas ou très peu touchée, voire pour certaines, boostées par la situation et dont la visibilité à moyen terme reste forte. Dossier dans la santé, assurance, logiciel SaaS, jeux vidéos, certains segments de l’agroalimentaire, etc… Pour ces cas, les process se déroulent comme avant la crise ou presque. Il faut reconnaître parfois un peu de tension sur les multiples – en phase avec les marchés cotées ou pour tenir compte d’un moindre levier financier (on y reviendra plus bas).
- Les “réalisables”, ceux qui résistent bien sans pour autant connaître de new business dans cette phase de crise mais dont le modèle de récurrence ou la solidité auprès des clients assure de la visibilité. Il peut aussi s’agir d’activité de retail alimentaire, de média, de e-commerce par exemple. Pour que ces dossiers soient réalisés, la question de la valorisation devient primordiale.
- Les “compliqués”, ceux dont on sait qu’ils vont repartir (fort ?) après la crise mais qui sont en activité réduite ou néante en ce moment, comme le loisir, l’hôtellerie, certains pans des services BtoB à faible visibilité. Pour ceux-là, les discussions sont en général suspendues, reportées.
- Les “distressed”, ceux qui ont un besoin urgent de cash. Ils vont affluer surtout dans quelques semaines après constat que le recours au chômage partiel et les prêts garantis ne suffiront pas.
Qu’en est-il de la dette LBO ?
Deux grandes différences avec la crise de 2008. A l’époque, les banques ne finançaient plus rien. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. La crise ne vient pas d’elles. Elles continuent à proposer des leviers raisonnables (comme elles le faisaient avant la crise), soit à 3x – 3,5x EBITDA, en se concentrant naturellement sur les dossiers solides à forte visibilité. L’autre différence avec 2008 est la profusion des fonds de dette privée. Quasi inexistants à l’époque, ils représentent des dizaines de milliards levées sur les deux dernières années et constituaient, avant la crise, la principale source de financement des LBO dont la dette était supérieure à 50 millions d’euros. Ils sont restés actifs mais à des niveaux d’exigence et à des coûts relevés, en général de plus de 200 points de base pour des leviers diminués d’un ou deux tours d’EBITDA.
Qu’en est-il du capital risque ?
Beaucoup de sociétés ont et vont avoir besoin de lever. Les critères des fonds évoluent vers une rationalisation de l’argent investi. En gros, ils demandent aux sociétés de raccourcir le chemin vers la rentabilité en jouant sur les postes de charge, la productivité, l’étalement de certains projets. La croissance reste évidemment un critère discriminant mais il doit être associé à une meilleure visibilité sur le moment du breakeven pour être sûr que l’argent investi n’arrive pas à une impasse. En M&A, le marché est calme car les grands corporates cotés ont souvent beaucoup d’autres choses à gérer avant de repartir sur les acquisitions. Ils subissent en outre eux-mêmes des valorisations boursières qui ne leur laissent pas beaucoup de marge de manoeuvre.
Quelle évolution attendre ?
Le mouvement de Fly to Quality constaté actuellement va se poursuivre. Le marché va rester actif mais ultra-sélectif sur la qualité des actifs. Sur les 12-18 prochains mois, les deals sur les actifs exceptionnels ne subiront que peu ou pas de décote de valorisation. Il s’agira de sociétés solides (le passage indemne de la période actuel en sera la meilleure preuve), à forte visibilité et qui bénéficieront en outre d’un effet rareté. Elles ne représenteront que 10 ou 20% des volumes habituels. Dans ces dossiers, le management disposera d’un levier de négociation très important et la qualité des management packages proposés par les acquéreurs potentiels sera un facteur clé de succès pour emporter l’enchère. Les deals plus standards subiront une décote pour tenir compte du contexte et seuls ceux qui présenteront une visibilité 2021 suffisante (les “réalisables”) pourront probablement rester actifs. Là aussi le phénomène de Fly to Quality laissera de côté les deals “compliqués” probablement jusqu’au constat d’un bon premier semestre 2021. Pour les fonds vendeurs, l’impact de ce décalage dans le calendrier de cession pourra nécessiter un reshaping du management package des dirigeants de la cible afin de les garder motivés pour la cession à venir et éviter qu’ils ne deviennent plus acheteurs que vendeurs.
Globalement, les volumes de transactions vont rester faibles jusqu’à mi 2021, tout en s’améliorant progressivement. La volatilité des valorisations ne favorise pas le matching des attentes entre vendeurs et acheteurs. Il faut attendre que cela se stabilise, en premier lieu que le métronome boursier soit moins saccadé. De façon générale, il est toujours assez difficile post-crise de faire matcher les attentes. Entre, d’une part, des acheteurs qui ont perdu un peu de confiance, qui sont de facto hyper prudents et qui sont moins bien financés et, d’autre part, des vendeurs qui ont du mal à se faire à l’idée que la valorisation de leur société a perdu 20 ou 30% (?) en quelques semaines, la zone de faisabilité est ténue. La difficulté de déterminer le bon agrégat de référence (l’EBITDA 2020 étant dans beaucoup de cas assez peu lisible) plaide aussi pour temporiser. La reprise devrait se faire après un premier semestre 2021 (normal ?) puis progresser régulièrement. Il faut en général plus de 3 à 4 ans pour revenir au niveau d’avant-crise.
D’ici là, les cas exceptionnels et réalisables animeront le marché ainsi que le distressed (qui va malheureusement affluer) et le capital-risque sélectif. Le signe de reprise vient souvent après crise des premières grosses offres publiques en bourse qui démontrent de façon très tangible que le marché est revenu à un bon point d’entrée. A partir de là, l’ensemble des marchés suivent et la spirale de valorisation redevient positive.
Comment assurer la survie à court terme, préparer la reprise d’activité et trouver les leviers efficaces de financement ?
Phase 1 : Sécuriser la trésorerie pour gagner du temps et passer le pic – la liquidité
Au cours de cette phase, il s’agit de s’assurer de la liquidité pour passer le pic et gagner du temps afin de mettre en place la stratégie à moyen terme. Les sociétés devront mettre en place les outils nécessaires à l’optimisation du cash (modèle de trésorerie 13 semaines) pour identifier l’éventuel besoin de financement et solliciter la mise en place du PGE. Solliciter le prêt garanti par l’Etat (PGE) pour couvrir l’effet COVID-19 sur l’activité dégradée. Si les banquiers ont pour directive d’être souples dans l’octroi du PGE, en qualité de prêteurs, ils doivent analyser les risques liés à la mise en place du financement et valider l’éligibilité des entreprises. Pour les PME, les deux principaux critères d’éligibilité sont :
- des capitaux propres qui ne sont pas inférieurs à la moitié du capital social à la clôture du dernier exercice (attestation du commissaire aux comptes),
- un montant de PGE plafonné à 25% du CA du dernier exercice
Pour appréhender ces risques, les banques doivent apprécier les conditions d’octroi du prêt et les capacités de remboursement. Dans ces conditions, il est nécessaire de présenter aux partenaires financiers les éléments adéquats pour leur permettre d’apprécier le bien-fondé de la mise en place d’un financement.
- Présenter l’activité et démontrer sa résilience ;
- Analyser les agrégats financiers historiques ;
- Analyser les mesures opérationnelles d’urgence mises en place, les principaux actifs garantissant la poursuite des activités ;
- Présenter l’impact sur le CA et sur l’Ebitda du COVID-19 ;
- Modéliser les prévisions d’exploitation et de trésorerie sur 12 mois glissant et teste de sensibilité ;
- Appréhender l’impact sur les ratios financiers de l’octroi du prêt.
Les banques peuvent être réticentes à accorder le PGE en raison de l’inadéquation du ratio Ebitda ou CAF/dette PGE souvent supérieur à 5. L’Etat pourrait prévoir d’ores et déjà que les dettes PGE soient amorties de façon dérogatoire sur 10 ans.
Phase 2 : Identifier les leviers pour financer la reprise et analyser la solvabilité.
Le prêt COVID-19 permet d’éviter les dépôts de bilan mais ne permet pas d’amorcer une reprise. Dans cette seconde phase, les sociétés devront financer le rebond et le développement alors que la capacité d’emprunt sera fortement obérée. Il s’agira au cours de cette phase de renforcer sa solvabilité. La constitution de passifs sociaux et fiscaux, utile pour gérer un creux de conjoncture, ne peut en aucun cas être suffisante pour financer le redémarrage ou des restructurations lourdes. En sortie de crise, il s’agira donc d’identifier les sociétés :
- dont la rentabilité est négative et qui devront traiter leur difficulté dans un contexte judiciaire
- dont la solvabilité présente des faiblesses mais sur un marché résilient qui pourront traiter leur restructuration financière dans un contexte amiable
- dont la solvabilité présente des faiblesses et sur un marché en mutation qui pourront traiter leur restructuration financière dans un contexte amiable avec un apport de fonds propres/quasi fonds propres pour financer les investissements liés à la mutation
- en bonne santé sur un marché résilient en croissance à la recherche d’opportunité d’acquisition en 2021 et bénéficiant de lignes capex encore disponibles ; il conviendra d’adapter la documentation bancaire qui, en faisant référence à l’EBITDA 2020 pour le calcul des ratios de levier pro forma, va les limiter dans leurs projets de développement en raison d’un EBITDA 2020, dans la plupart des cas, nécessairement dégradé.
Pour financer leur redémarrage, les sociétés devront rassurer leur partenaire financier et les assureurs crédits prêts à résilier les couvertures à défaut d’un bilan correct. Il conviendra dans ce contexte d’accompagner les entreprises (i) afin de réaliser un diagnostic économique et financier pour asseoir les perspectives et mettre en place les leviers susceptibles de leur apporter la ressource nécessaire pour faire face à la sous-activité ou à la relance, (ii) de gérer un process d’adossement industriel ou de lever de fonds, (iii) d’accompagner les repreneurs dans un contexte de situation spéciale. L’ensemble des acteurs devront élaborer de nouvelles stratégies et de nouveaux outils pour répondre à l’ensemble des problématiques post-crise. Face aux situations spéciales : assurer la relance et la pérennité des entreprises, des mesures fortes et des opportunités. Les chiffres, selon les analyses de la Banque de France, tendaient à démontrer une baisse des ratios d’endettement des entreprises en 2018 qui avait été boostée les années antérieures par des taux d’intérêt très bas. Les pertes générées, par la crise des gilets jaune et aujourd’hui par le COVID-19 sont financées par les fonds propres, le bfr ou le financement bancaire (PGE), venant fortement fragiliser la santé financière d’un certain nombre d’entreprises. Un grand nombre d’entre elles vont se retrouver en danger, notamment en raison d’un endettement trop élevé, de fonds propres insuffisants, d’une crise de liquidités.
Dans ce contexte de difficultés profondes, des mesures fortes devront être mises en place afin d’apporter de nouvelles solutions de financements, de restructuration de dettes et de restructurations stratégiques. Ces opérations sont dites opérations de situations spéciales ou distressed M&A. Les opérations de situations spéciales se caractérisent par un contexte économique et social sensible, un cadre juridique plus contraignant que dans le cadre d’opérations financières classiques :
- la levée de fonds pour apporter de la new money et financer la restructuration financière et industrielle auprès de fonds de private equity, de family office…
- l’adossement industriel, prise de contrôle totale ou partielle
- le financement structuré adossé sur des actifs du groupe (immobilier, matériels, stocks)
- les restructurations stratégiques (carve out, spin off, build up)
- la reprise d’entreprises en plan de cession (asset deal).
Le facteur temporel est clé dans la gestion de ces situations de crise. Plus le dirigeant et ses conseils auront recours tôt à la mise en place de process M&A « situation spéciale », plus le panel de solutions sera large pour l’entreprise. A noter que ces opérations sont pour la plupart réalisées dans un cadre de procédures amiables ou collectives permettant de sécuriser les transactions et les négociations envisagées. Là encore, plus les difficultés sont anticipées, plus les outils juridiques liés aux traitements des difficultés sont larges et flexibles et plus le traitement de ces difficultés peut se faire, ou tout du moins commencer, en dehors de toute procédure avec notamment une renégociation de la dette existante.
Bien que cette crise pose aujourd’hui un grand nombre d’incertitudes, de nombreux acteurs tels que des fonds de capital développement et les entreprises s’accordent à dire, qu’ils sont prêts à intervenir en situation spéciale, un constat qui assure une multiplication des solutions de sortie vers le haut. Après avoir préservé les actifs pendant la crise avec des mesures de cash management et les mesures gouvernementales COVID-19, il est essentiel que chaque acteur s’interroge sur le financement de la relance des activités afin de saisir les opportunités et créer de la valeur à terme.
Quels outils pour le management ?
Pour les cas « distressed » les plus dégradés ou les cas « compliqués » qui ne sortiraient pas, le Livre VI du Code de commerce offre une large palette d’outils, préventifs ou judiciaires. Les procédures préventives (mandat ad hoc et conciliation) sont désormais bien connues et utilisées. Contrôle du Président du Tribunal ou du Tribunal lui-même pour la solution de restructuration retenue, intervention du Parquet et information des instances représentatives du personnel dans certains cas, elles s’articulent souvent successivement et ont pour caractéristique commune la sécurisation :
- Du management, en lui permettant de traiter la crise de l’entreprise au cours d’une procédure confidentielle contrôlée
- Des actionnaires et créanciers, qui éloignent une bonne partie des reproches pouvant éventuellement leur être adressés selon leur position face à la crise
- Des nouveaux entrants, en dette ou en capital, avec pour le privilège spécial de new money pour les instruments de dettes.
Les procédures judiciaires sont quant à elles vouées à traiter les cibles les plus problématiques. Il est probable que leur nombre soit en augmentation, au moins un temps. Des mécanismes juridiques existent déjà au soutien d’un certain nombre de modes de restructuration financière (notamment capitalisation de créances et dilution, traitement différencié des créanciers en fonction de leurs efforts pour l’avenir) et, à l’occasion de la transposition de la Directive Européenne du 20 juin 2019, la mécanique décisionnelle à l’œuvre dans ces procédures pourrait être bientôt revue. Mais il est vraisemblable que les asset deals, dits plans de cession, soient un mode de sortie largement rencontré.
Dans ce cas, la dette de la cible n’est couverte que par ses actifs résiduels et le prix de cession. Toutefois, des dispositions permettent le transfert de certaines dettes financières au véhicule de reprise, lorsqu’elles ont financé un actif objet de la reprise qui a été pris en garantie au moment de la mise en place du financement. Des mécanismes spécifiques aux cessions judiciaires des contrats de créditbail existent également et permettent de transférer tout ou partie des dettes de la cible au moment de la levée d’option par le véhicule de reprise, dans la limite de la valeur du bien évaluée au moment du transfert.
Rappelons enfin que les dispositions de l’article L.642-3 du Code de commerce interdisent aux mandataires sociaux de la cible de détenir directement ou indirectement du capital dans le véhicule de reprise, sauf accord du Parquet et du Tribunal. En pratique les deals comportant cette composante particulière sont relativement rares, pour des raisons évidentes.
Compte tenu de la nature de la crise et au regard de la nécessité d’assurer la continuité du management des cibles et la rapidité d’exécution des transmissions, la politique judiciaire d’application de cette réglementation pourrait-elle être amenée à évoluer temporairement pour servir la reprise économique de ces cibles ? Dans une telle hypothèse, comme d’ailleurs en cas de changement de l’équipe de direction de la cible, les outils d’association du management à la réussite du projet de retournement seraient variables selon l’état financier de la société.
Ainsi, si l’equity a encore de la valeur, les outils classiques utilisés dans les management packages seraient susceptibles d’être utilisés, même s’ils devraient certainement être adaptés à la situation (notamment à l’absence d’effet de levier massif) : attribution gratuite d’actions ordinaires ou de préférence, souscription d’actions de préférence ratchet …, la liquidité et la valeur de ces outils dépendant de l’atteinte d’objectifs opérationnels par la cible.
Dans le cas contraire, si l’equity vaut zéro, de simples acquisitions d’actions ordinaires pourraient suffire pour associer le management à la réussite de l’opération. Toutefois, dans certains cas très dégradés, il pourrait s’avérer nécessaire de structurer des outils indexés en tout ou partie sur le désendettement de la cible.
Dans tous les cas, l’encadrement juridique de la participation du management serait nécessaire (e.g. clause de tag et drag along) et sa présence jusqu’à une certaine date garantie (notamment par des clauses adaptées de leavers).