juillet 2024

#Media - Management packages : ce n'est pas la fin

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ENTRETIEN CROISÉ publié dans le magazine Next Step (dédié à la croissance des entreprises, au Restructuring, M&A et Private Equity), avec Tristan Audouard, associé du cabinet Jeausserand Audouard, Paul de France, associé du cabinet Gide, et Jean-Louis Médus, professeur agrégé des universités et associé d’AdWise avocats.

Intervenue il y a tout juste trois ans, la prise de position du Conseil d’État n’a pas déclenché de tsunami sur les manpacks. Mieux vaut cependant rester à l’affût de toute évolution de jurisprudence ou consécutive aux dernières élections législatives.

La décision du Conseil d’État de juillet 2021 a-t-elle provoqué la déflagration annoncée sur les management packages ?

Tristan Audouard : Bien qu’il y ait eu des conséquences sur la structuration des nouveaux instruments comme sur la remise en forme de clauses pouvant s’avérer problématiques, cette prise de position n’a fort heureusement pas signé la fin des manpacks. Cela étant, une incertitude  provient d’une jurisprudence qui introduit des éléments subjectifs. Avant 2021, il était admis que les critères objectifs du risque capitalistique et de la juste valorisation à l’entrée suffisaient à sécuriser ces outils d’intéressement ; depuis, un aléa préjudiciable vient du fait qu’il convient d’examiner si l’investissement est réalisé dans des conditions normales, s’il y a des liens de rattachement au contrat de travail, etc.

Jean-Louis Médus : Les arrêts de juillet 2021 fournissent néanmoins une grille de lecture qui a le mérite d’une certaine logique – y compris en termes de délai de prescription et de computation du délai
de reprise. Et depuis, on aura relevé deux décisions de jurisprudence intéressantes.
L’arrêt Mécatherm de juin 2023 montre que le Conseil d’État fait la distinction entre les mécanismes incitatifs et le fait qu’il peut admettre dans certaines circonstances la possibilité d’accorder un prix garanti. En février 2024, l’arrêt Prezioso de la cour d’appel administrative de Paris a confirmé  la jurisprudence de juin 2019 du Conseil d’État tendant à dire que, lorsque les instruments de management packages sont détenus par une personne morale, on ne peut requalifier le gain de cession en traitements et salaires que si l’on démontre l’abus de droit et l’interposition abusive de la personne morale.

Paul de France : Malgré une grille de lecture du Conseil d’État assez générique, tout cela s’affinera au fil du temps avec les juges du fond. Cela étant, à ce stade, la jurisprudence semble critiquer la passivité de ce type d’investisseurs, en opposition selon moi à un management pesant sur la gouvernance de l’entreprise et structurant sa croissance aux côtés des actionnaires investisseurs.

Le bien-fondé des management packages est-il menacé ?

Paul de France : Même si la rapporteure publique a pris soin d’expliquer que cette jurisprudence s’alignait avec les positions antérieures du Conseil d’État, la très large communication qui a été faite autour de ces décisions (prises en formation plénière) visait à faire en sorte que tout le monde y voit un arrêt de principe. Par exemple, le raisonnement en « trois temps » suivi dans l’une de ces décisions (acquisition du bon, exercice du bon et cession des actions sous-jacentes) contraindrait par exemple l’administration fiscale à établir l’existence d’un avantage à l’entrée dans le délai de prescription (trois ans plus l’année en cours). Ce principe doit toutefois être nuancé dans la mesure où, dans certaines circonstances, l’administration pourrait être fondée à requalifier le gain réalisé « à la sortie »
(et ainsi rattraper l’avantage à l’entrée).

Tristan Audouard : L’administration avait jusqu’au 31 décembre 2022 pour redresser les sorties de LBO de 2018 et 2019. Et même si le raz-de-marée pressenti des redressements n’a pas eu lieu, il ne faut pas en tirer de conclusion hâtive.

Jean-Louis Médus : Il est vrai que l’on retrouve dans l’arrêt de 2021 des critères subjectifs tels que ceux qui avaient été utilisés au début des années 1970 pour requalifier les plus-values de cessions mobilières de dirigeants actifs dans le retournement de sociétés. En cela, il n’y a pas de rupture. Ce que ne veut plus le Conseil d’État, c’est de la rétrocession de plus-values : il accepte le partage de plus-values actionnariales s’il y a des instruments avec des priorités de rang et des prix de souscription particuliers. Cela suppose de gommer de mauvaises pratiques dans la rédaction de la documentation.

Les clauses de good/bad leaver sont particulièrement visées…

Jean-Louis Médus : Avec celles-ci, on crée de facto un rattachement au statut salarial en stigmatisant une faute de gestion du dirigeant ou du salarié ayant pour conséquence le rachat de ses titres avec une décote. Cela étant, mieux vaut être très vigilant sur ce point qui demeure délicat : même si la DGFIP s’intéresse pour l’instant aux débouclages de LBO ayant créé d’importantes plus-values, la simple existence d’une documentation (même non activée) suffit à permettre la requalification et caractériser le statut d’un accessoire au contrat de travail plus que celui d’investisseur. Le détricotage d’une documentation existante doit être manié avec prudence.

Tristan Audouard : S’agissant des LBO en cours, nul n’est d’ailleurs certain que la révision des documentations juridiques serait suffisante à écarter tout risque de redressement. Cela démontrerait à tout le moins un comportement de « bon élève », permettant de se distinguer des dossiers dans lesquels la nouvelle grille de lecture jurisprudentielle n’aurait pas été prise en compte.

Paul de France : Il faut aussi aborder cette question sous l’angle du fait générateur d’imposition et de la prescription. Le Conseil d’État se fonde sur une formulation assez large de « conditions de réalisation du gain », mais le séquençage de son raisonnement invite peut-être à rétorquer que ces conditions ont pu évoluer dans le temps, en dépit d’une intention initiale établie. Le cas échéant, une modification des accords contractuels (impliquant de nouvelles négociations entre les parties) pourrait permettre de souligner la volonté des investisseurs financiers de traiter l’ensemble des managers comme des actionnaires à part entière (indifféremment de leur « casquette » de salarié du groupe).

Y a-t-il urgence à traiter le sujet ?

Jean-Louis Médus : Nombre d’enjeux fiscaux disparaissent du fait de la baisse actuelle du nombre de manpacks engendrant un effet financier positif. Ce n’est néanmoins pas le cas en matière de cotisations sociales : les juridictions de l’ordre judiciaire, compétentes en matière de sécurité sociale, ont une lecture beaucoup plus dommageable puisqu’elles visent à assujettir à cotisations sociales tous les éléments de rémunération et avantages (en numéraire comme en nature). Ainsi, la Cour de cassation interprète la notion « d’avantage » de l’art.L.242-1 du code de la sécurité sociale comme des « conditions préférentielles »… Et si elle n’a pas souhaité interdire à des salariés de devenir actionnaires, on retrouve là une hostilité à l’égard des mécanismes comme les options. C’est à mon sens critiquable puisqu’elle en arrive à dire que les conditions financières de l’octroi des bons sont presque secondaires. Qui plus est, en considérant que l’avantage consenti est assujetti aux cotisations à la date à laquelle il est exercé, cela repousse dans le temps le point de départ du délai de prescription.

Faut-il continuer de privilégier les actions gratuites ?

Tristan Audouard : Depuis quelques années, le législateur a pris conscience de l’importance d’associer les salariés au capital de l’entreprise, sous LBO ou non. Et pour répondre à l’imperfection des outils disponibles, plusieurs lois sont venues amender leur régime fiscal, social et juridique pour en déverrouiller les limites au fil des années. Par exemple, le relèvement récent à 15 % du seuil des actions gratuites est une bonne chose, mais une contradiction demeure : le salarié qui prend un risque en investissant dans son entreprise est susceptible de se faire requalifier en salaire, alors que celui qui perçoit des actions gratuites sera plus favorablement traité tant d’un point de vue fiscal que social.

Qu’en est-il des BSPCE ?

Paul de France : Réservés à des « happy few », ils jouissent d’un régime fiscal et social relativement stable, voire amélioré au fil du temps par le législateur et l’administration. En outre, le Conseil d’État a rendu récemment deux décisions favorables sur ces instruments, l’une en matière de PEA et l’autre en matière d’apport d’actions souscrites en exercice de BSPCE. Ouvrant des opportunités pratiques intéressantes, ces décisions ont toutefois fait naître de nouvelles interrogations techniques à clarifier dans les prochains mois – comme le traitement fiscal des gains afférents aux actions souscrites en exercice de BSPCE et inscrites en PEA, ou encore l’application du sursis d’imposition dans certaines situations (notamment lorsque le salarié a exercé son activité dans la société depuis moins de trois ans).

Entretien réalisé par Charles Ansabère