Vigilance lors des évaluations d'entreprise
Lorsque l’on parle d’évaluation d’entreprises, on imagine en premier lieu des incidences en matière d’ISF, de droits de donation ou de droits de succession. Il y a néanmoins de nombreux autres enjeux au plan fiscal: que ce soit par exemple en matière d’impôt sur les sociétés (à l’occasion de reclassements de participations intra-groupe ou à l’occasion de cessions hors groupe), d’exit tax (calcul de la plus-value latente au jour du départ de France d’une personne physique ou morale) ou encore d’actionnariat salarié (calcul de la contribution patronale et du « gain d’acquisition » dans le cadre d’un plan d’actions gratuites ou de stock-options). Nous avons également vu ces dernières années se développer les redressements fondés sur l’utilisation abusive de PEA, l’administration fiscale prétextant une minoration volontaire de valeur des titres afin de contourner le plafond des versements en PEA (aujourd’hui fixé à 150.000 euros).
Il convient dès lors d’être vigilant, tant les occasions pour l’administration fiscale de contester les valeurs retenues sont nombreuses.
D’importantes divergences
Comment un contribuable peut-il sécuriser sa position ? Il existe certes un « guide de l’évaluation » publié par l’administration fiscale en 2006. Ce guide n’a toutefois pas pour objet de fournir des formules de calcul mécaniquement applicables, mais une ligne de conduite reposant sur une analyse approfondie de la réalité de l’entreprise. En pratique toutefois, les divergences de vues entre l’administration fiscale et les praticiens sont importantes. Il en va ainsi, par exemple :
- Des méthodes d’évaluation employées, la pratique privilégiant les méthodes prospectives, telles que le DCF ou le multiple de l’EBIT, tandis que l’administration fiscale privilégie une combinaison de méthodes (les méthodes patrimoniales étant mises en avant) avec l’application d’une moyenne pondérée (selon la taille, l’activité et le pouvoir) ;
- Des éléments pris en compte pour l’évaluation, l’administration fiscale (qui intervient toujours a posteriori) ayant tendance à prendre en compte des événements postérieurs au fait générateur d’impôt pour justifier une évaluation élevée ;
- De l’utilisation des décotes, la pratique admettant des taux de décotes beaucoup plus élevés que l’administration fiscale.
Assez peu de décisions de justice
Entre le contribuable et l’administration fiscale, le juge doit arbitrer. Or, force est de constater que les décisions de justice sont relativement rares par rapport au nombre de redressements engagés chaque année. C’est en effet une spécificité de ce type de redressement : tant le contribuable que l’administration fiscale ont conscience que l’évaluation d’entreprises n’est pas une science exacte, de sorte qu’en pratique bon nombre de litiges se terminent en « pré-contentieux », chaque partie acceptant de revoir sa position pour trouver un mi-chemin acceptable. Durant cette période, l’appui d’un tiers (avocat et/ou expert indépendant) est important, même si en pratique l’administration fiscale accepte très rarement de se rallier totalement à la valorisation du contribuable. Souvent, les décotes sont le moyen pour l’administration fiscale de se rapprocher de la position du contribuable. Il convient en effet de noter que, si les décotes sont pratiquement absentes du guide de l’évaluation de 2006, la jurisprudence les valide très régulièrement (décote pour clause d’agrément, décote de minorité, décote d’illiquidité, …) et admet même un cumul de décotes.
Néanmoins, dans certains contentieux (par exemple ceux relatifs à l’acquisition de titres en PEA), aucun mi-chemin n’est possible (cf. par exemple avis n°2010-02 et n°2010-03 du Comité de l’abus de droit fiscal : contestation du prix d’acquisition en PEA dans le cadre d’une « vente à soi-même » par le biais d’une holding).
Afin de réduire l’incertitude, il conviendra soit de s’appuyer sur un rapport d’expert préalable à l’opération, soit de consulter l’administration fiscale avant l’opération envisagée. Cette procédure de « rescrit-valeur », si elle est relativement efficace (car encadrée dans des délais raisonnables) est néanmoins limitée aux cas de donations. La généraliser constituerait probablement une avancée majeure dans l’amélioration des rapports entre l’administration fiscale et les contribuables.