mars 2025

#Media - La réforme des management packages recrée de l'insécurité fiscale

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Interview de Jérémie Jeausserand, qui livre son regard à l’Agefi sur la réforme de la fiscalité des management packages issue de la loi de finances pour 2025 et sur ses éventuelles conséquences sur l’économie française.

Quel regard portez-vous sur la récente réforme de la fiscalité des management packages ?

La réforme partait manifestement d’une bonne intention : sécuriser le régime fiscal des gains réalisés par les dirigeants et salariés à l’occasion d’un LBO. Sauf qu’il n’y avait en réalité que peu d’insécurité pour les opérations structurées après 2021. Pire, cette réforme recrée de l’insécurité pour ces opérations. En effet, le management package est issu de la pratique. Pendant des années, aucun texte ne régissait spécifiquement son régime fiscal.

Très tôt, l’administration fiscale s’est interrogée sur la nature de ces gains (salaires ou plus-values) et a procédé à un certain nombre de redressements, qui ont conduit les tribunaux à se prononcer et à, de ce fait, définir une grille de lecture.

Ainsi, si le dirigeant ou le salarié agissait comme un investisseur, en prenant des risques, sans bénéficier de conditions particulières favorables, le gain devait être considéré comme une plus-value. En revanche, s’il se voyait octroyer des conditions favorables, que ce soit sur le prix d’acquisition des titres ou du fait des garanties contre le risque de perte par exemple, alors le gain relevait du régime des salaires.

Cette situation a perduré jusqu’en 2021, année au cours de laquelle le Conseil d’Etat a procédé à un revirement de jurisprudence par des arrêts importants. La plus haute juridiction administrative a alors considéré que le risque pris par le dirigeant ou le salarié n’était plus un critère déterminant pour la qualification de ses gains. Pour qualifier ce qui relève de la plus-value ou du salaire, le Conseil d’Etat a considéré qu’il fallait désormais apprécier le lien existant entre le gain réalisé et les fonctions exercées. En pratique, cette appréciation requiert notamment une analyse du pacte d’actionnaires, des contrats de travail ou de mandat, et des différents autres documents signés lors de l’investissement.

Cette jurisprudence a provoqué une insécurité fiscale très forte pour les dossiers structurés avant 2021 (et non encore prescrits), lesquels ne respectaient par définition pas les nouvelles règles du jeu issues des arrêts du Conseil d’Etat.

En n’étant certainement pas conscient que la principale insécurité qu’il convenait de régler était celle-ci (les opérations structurées après 2021 ayant par définition pu l’être en respectant les prescriptions du Conseil d’Etat), le législateur a, par sa récente réforme, de nouveau modifié les règles du jeu, ajoutant de la confusion à un sujet déjà extrêmement complexe.

Pour quelles raisons ?

Pour une raison simple : le texte adopté s’applique aux gains réalisés à compter de début 2025 et donc rétroactivement à des dossiers structurés correctement au regard des prescriptions du Conseil d’Etat de 2021, mais qui ne prenaient par définition pas en compte les contraintes issues du nouveau texte. De surcroît, le dispositif voté pose de nombreuses difficultés d’interprétation et de mise en œuvre.

Lesquelles ?

Pour ne donner que quelques exemples topiques, la notion de gains octroyés en contrepartie de la fonction, utilisée comme clé d’entrée dans le nouveau régime, n’est pas définie.

Autre sujet crucial, l’absence de bénéfice du régime du sursis d’imposition pour la partie du gain de cession qui sera imposé comme un salaire (i.e. au-delà du multiple de trois fois la performance financière du projet). De fait, cette disposition réduit sensiblement la capacité de réinvestissement des dirigeants et salariés dans la prochaine opération, lesquels devront acquitter l’impôt avant de réinvestir (à risque).

Je pourrais multiplier les exemples : impossibilité d’utiliser les PEA, double imposition sur les donations, modalités de calcul du multiple projet ou du multiple de « fois 3 », etc. Si certaines situations peuvent être réglées via des commentaires administratifs, d’autres nécessiteront très certainement une intervention législative.

Quel impact aura cette réforme sur l’attractivité de la place française ?

Au-delà de l’attractivité de la France, la réforme est cruciale pour l’économie française pour laquelle les management packages présentent de nombreuses vertus. Outre le fait d’aligner les intérêts des dirigeants et salariés avec ceux des investisseurs, ils permettent de faire « ruisseler » une partie de la création de valeur des LBO vers des contribuables personnes physiques qui paient leurs impôts, consomment et investissent en France. Mais surtout, ils permettent souvent à ces dirigeants et salariés de prendre un poids significatif dans le capital d’entreprises françaises, d’en faire des champions européens ou mondiaux et de les maintenir en France.

De plus, le régime d’imposition doit prendre en compte le fait que les dirigeants et salariés sont en général amenés à investir des sommes non négligeables dans le LBO, à l’échelle de leur patrimoine, sans garantie de rendement.

Enfin, n’oublions pas que les dirigeants et les salariés sont des acteurs essentiels dans l’écosystème du private equity, au même titre que les fonds d’investissement, les banques ou les conseils. Sans eux, la machine est grippée.

L'Agefi

Le cabinet remercie Nessim Ben Gharbia pour cet entretien.

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