octobre 2022

#Opinion - Management packages, est-ce la fin ?

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De nombreuses voix se sont élevées depuis le revirement de jurisprudence de 2021 relatif à la fiscalité des management packages, appelant le gouvernement à réformer urgemment le régime de ces schémas d’investissement. Mais est-ce nécessaire ? Par Tristan Audouard et Jérémie Jeausserand.

Emergence des management packages

En 1989 paraissait « Barbarians at the Gate » qui contait l’histoire de la prise de contrôle du géant de l’agroalimentaire RJR Nabisco par le fonds KKR, via l’un des plus gros LBO de l’histoire. Le grand public découvrait ainsi le private equity, classe d‘actifs à l’origine du succès de nombre de groupes français, et dont un des piliers de création de valeur est, avec la professionnalisation des équipes des fonds et l’effet de levier financier, l’alignement des intérêts entre le management et les investisseurs. Et la pierre angulaire de cet alignement est ce que l’on appelle le management package, i.e. le mécanisme permettant aux dirigeants et salariés d’investir aux côtés des financiers dans des conditions leurs permettant de capter une partie de la valeur créée, mais ayant corrélativement pour effet de faire perdre au management tout ou partie de sa mise en cas d’échec de l’opération. Ces management packages ont permis à nombre de dirigeants et salariés de gagner beaucoup d’argent dans le cadre d’une aventure entrepreneuriale enthousiasmante.

L’intérêt de ces mécanismes a toutefois rapidement attiré l’attention des autorités fiscales. En effet, des gains significatifs étaient générés en peu de temps par des cadres, les redressements susceptibles d’être opérés pouvaient rapporter beaucoup à l’Etat et les règles du jeu n’ont jamais été très claires. Ainsi, dès 1995, l’administration fiscale attirait l’attention de ses services sur les mécanismes « portant sur des titres de sociétés pour permettre à certains dirigeants d’obtenir des avantages financiers importants ». L‘enjeu de ce débat est clair : soit le gain réalisé par le manager est considéré comme de la plus-value et est alors soumis à un régime fiscal (et social) favorable (prélèvement de 30%), soit ce gain est vu comme la contrepartie d’un travail et il doit alors être taxé comme du salaire (taux marginal de 45%).

Le Conseil d'Etat définit un nouveau cadre

Au cours des années qui ont suivi, les redressements fiscaux opérés ont donné l’occasion aux tribunaux de définir une grille de lecture permettant aux praticiens de structurer les management packages dans des conditions relativement sécurisées. Les critères étaient simples : le manager a-t-il investi à la valeur de marché. A-t-il bénéficié de conditions plus favorables que celles accordées à un actionnaire ordinaire. Bref, a-t-il pris un vrai risque d’actionnaire. Par des décisions très remarquées de juillet 2021, le Conseil d’Etat est revenu sur cette grille de lecture, faisant désormais prévaloir le lien susceptible d’exister entre le gain réalisé et les fonctions exercées, lien qui résulte d’un faisceau d’indices. Ces décisions ne sont pas problématiques en elles-mêmes, si ce n’est pour certaines transactions débouclées depuis le 1er janvier 2018 ou en cours lors de leur publication, l’ensemble de ces opérations ayant par principe été structurées sans connaitre les nouveaux principes dégagés par le Conseil d’Etat.

En revanche, pour les LBO finalisés postérieurement à la publication de ces jurisprudences, ils ont, en principe, été organisés en tenant compte de la nouvelle grille de lecture et doivent donc être capables de passer les fourches caudines d’un contrôle fiscal. Il est en effet aujourd’hui toujours possible de structurer l’investissement des équipes de management dans les LBO dans des conditions fiscales sécurisées, soit en faisant en sorte que le lien entre le gain et les fonctions ne soient pas suffisants pour justifier une requalification, soit en utilisant des instruments d’actionnariat salarié réglementés, e.g. plans d’attribution gratuite d’actions. Il convient à ce titre de noter qu’il n’est malheureusement pas toujours possible de mettre en place de tels plans, comme nous l’exposions dans un article paru dans Les Echos le 1er décembre 2021, article dans lequel nous proposions d’en assouplir le régime afin de sécuriser et de démocratiser l’accès des salariés et dirigeants au capital des entreprises françaises.

En conclusion

Ce bref rappel de l’évolution de la fiscalité des management packages démontre, s’il en était besoin, la position centrale de ce sujet dans la structuration de l’investissement des managers dans les LBO. Les dirigeants doivent avoir cette dimension à l’esprit lorsqu’ils négocient leur investissement et celui de leur équipe. Gageons que le revirement de juillet 2021 renforcera l’attention qui sera portée sur la structuration de l’investissement des managers dans ces opérations, notamment du fait de l’importance des enjeux financiers susceptibles d’en découler.