décembre 2021

#Opinion - Libérons l'actionnariat salarié

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Les décisions du Conseil d’Etat, prises le 13 Juillet dernier, au sujet des « management packages », sont néfastes pour les dirigeants et les entreprises. Dans une tribune, Thibaut Bechetoille, Président de CroissancePlus et Jérémie Jeausserand appellent en conséquence à décorseter les outils d’actionnariat salarié réglementés.

Par trois décisions du 13 juillet 2021, le Conseil d’Etat a révolutionné la grille d’analyse permettant de décider si les gains réalisés par les dirigeants d’un groupe lors de la cession de leurs titres de capital dont la valeur est subordonnée à une certaine performance, les fameux « management packages », devaient être taxés en tant que plus-values, aujourd’hui soumises au prélèvement forfaitaire unique de 30 %, ou en tant que salaires, aujourd’hui soumis au barème progressif de l’impôt sur le revenu, lequel peut aller jusqu’à 45 %.

Alors qu’il suffisait jusqu’à présent que le dirigeant ait investi dans des conditions normales et à un prix de marché pour qu’il bénéficie du régime des plus-values de cession, le Conseil d’Etat écarte désormais ces éléments au bénéfice du lien qui aurait pu exister, lors de l’investissement du dirigeant, entre ledit investissement et ses fonctions.

Coup de tonnerre

Au-delà du flou de ce nouveau critère et de l’insécurité juridique qu’il induit, cette jurisprudence aboutit à des conséquences pratiques extrêmement néfastes pour les dirigeants, les entreprises et partant, l’économie française. En effet, elle permettra dans de nombreux cas d’imposer en salaire les gains des dirigeants qui auront pourtant investi des sommes non négligeables dans leur entreprise et, si elle est suivie par les juridictions de l’ordre judiciaire qui auront bientôt à se prononcer sur le même sujet en matière sociale, à soumettre ces gains aux charges sociales.

Si ce revirement de jurisprudence a créé un fort émoi dans le monde du capital investissement, dont le modèle repose fortement sur l’association du management à la création de valeur de l’entreprise via l’accès de ce dernier au capital du groupe dans lequel il travaille, son enjeu pour l’économie française est bien plus large et constitue un sujet stratégique qui nous semble essentiel de gérer rapidement.

En effet, la plupart des start-up, PME et ETI françaises, qui constituent la clé de voûte de notre tissu socio-économique, qu’elles aient à leur capital des fonds d’investissement, des entrepreneurs ou des familles, ont besoin d’attirer et de conserver leurs talents, ceci face à une concurrence accrue des grands groupes, français ou étrangers, capables d’offrir des rémunérations souvent bien plus importantes qu’elles.

Un des arguments qui permettent à ces start-up, PME et ETI de convaincre les cadres à fort potentiel de les rejoindre ou de rester est de leur permettre d’accéder à leur capital et de réaliser des gains substantiels en cas de succès du projet d’entreprise. Par ces décisions, le Conseil d’Etat vient casser cette dynamique et appelle une réaction concrète et rapide des pouvoirs publics.

Ouvrir les dispositifs réglementés

Depuis ce coup de tonnerre jurisprudentiel, certains rêvent d’un modèle fiscal « à l’américaine », où une simple déclaration au fisc lors de la souscription de l’investissement suffirait à sécuriser le traitement fiscal du gain réalisé. Ainsi, cette proposition d’amendement au projet de loi de Finances pour 2022 déposée à l’Assemblée nationale et rejeté en commission.

Nous pensons qu’il serait bien plus simple, efficace et politiquement acceptable de déverrouiller les outils dont disposent d’ores et déjà les actionnaires qui souhaitent associer leurs dirigeants et salariés à la croissance de l’entreprise et notamment les attributions gratuites d’actions et les BSPCE.

En effet, ces outils d’actionnariat salarié, bien connus des salariés, des entreprises françaises, de leurs actionnaires mais également des administrations et des juges, sont largement répandus et permettent déjà l’association des dirigeants et salariés aux fruits de la croissance dans des conditions fiscales et sociales raisonnables. Si des outils non réglementés, tels que ceux visés par le Conseil d’Etat sont utilisés par les actionnaires et les entreprises, c’est uniquement car les outils réglementés sont encadrés trop strictement.

Pour favoriser la diffusion massive des outils d’actionnariat salarié réglementés dans l’ensemble de l’entreprise mais également sécuriser les régimes fiscaux et sociaux des gains réalisés par les dirigeants et salariés du fait de leur participation au capital du groupe dans lequel ils travaillent, nous proposons depuis de nombreuses années que le législateur simplifie et ouvre ces dispositifs.

Ainsi, il nous semble notamment nécessaire de relever, par exemple à 30 % (au lieu de 10 ou 15 % actuellement), le pourcentage du capital qui peut être attribué gratuitement aux salariés, de retirer la limite de détention individuelle de 10 % qui bloque l’attribution de telles actions à des salariés déjà actionnaires, ou encore permettre l’apport en sursis d’imposition des actions attribuées gratuitement à des sociétés de salariés afin d’assurer une organisation cohérente de l’actionnariat du groupe.

Ces propositions prennent encore plus de sens à la lumière des dernières décisions du Conseil d’Etat et des problématiques qu’elles soulèvent. Espérons que nos gouvernants prendront rapidement conscience de l’importance de ce sujet pour les entreprises, les salariés et l’économie française et de la simplicité avec laquelle cette problématique pourrait être réglée. Il en va de la réconciliation entre travail et capital et de la fin du clivage stérile entre salariés et actionnaires. L’entreprise est un corps social ; tous ses membres doivent pouvoir bénéficier de son succès, y compris sur le plan capitalistique.