juillet 2016

#Chronique - Le pacte d’actionnaires, clé de voûte des relations capitalistiques ?

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Jérémie Jeausserand, membre du comité directeur de CroissancePlus, revient sur l’importance du pacte d’actionnaires dans le magazine de l’association.

Le pacte d'actionnaire, indispensable pour éviter les conflits

L’entrepreneur qui souhaite développer son entreprise est souvent amené à ouvrir son capital à des investisseurs, business angels ou fonds d’investissement. Une telle association, si elle constitue une opportunité pour l’ensemble des parties, présente de nombreuses sources de conflits potentiels dont la plupart peuvent être gérés s’ils sont anticipés dès l’origine.

Si les statuts d’une société peuvent appréhender certains points, la volonté de conserver leur caractère confidentiel à d’autres sujets amène souvent les parties à inclure les règles de vie de leurs relations actionnariales dans un document extra-statutaire non public, le pacte d’actionnaires. Rapide revue des principaux sujets à traiter dans ce document : la gouvernance de la société tout au long de la durée de vie de l’association capitalistique et la liquidité des titres pour chacun des actionnaires.

Qui dirige ?

La gouvernance est un sujet particulièrement sensible car l’entrepreneur, jusqu’alors seul maître à bord, se retrouve à devoir composer avec des personnes qu’il ne connaissait pas quelques semaines auparavant. Parallèlement, les investisseurs qui confient des sommes non négligeables à l’entrepreneur, souhaitent légitimement avoir un minimum de contrôle sur leur utilisation, quand bien même ils seraient minoritaires en capital. Ce sujet est d’autant plus important à gérer en amont que toute entreprise peut passer par des phases de difficultés économiques durant lesquelles les relations actionnariales peuvent se tendre très fortement.

En pratique, l’entrepreneur est supposé diriger la société dans ses actions quotidiennes et prendre toutes les décisions qui ressortent du statut de président. Néanmoins, certaines d’entre elles peuvent être soumises à une procédure particulière en vertu des stipulations du pacte et faire l’objet d’une information des représentants des investisseurs – en général rassemblés au sein d’un conseil de surveillance – voire d’une autorisation préalable. Il s’agit généralement de décisions dépassant la gestion normale de l’activité ou non prévues au budget, susceptibles d’impacter significativement la société.

Parmi les décisions habituellement visées par ces stipulations, on trouve tout investissement ou acquisition supérieurs à un certain montant, l’embauche de salariés clés comme le directeur financier par exemple, ou de salariés rémunérés au-delà d’un certain seuil, la cession d’actifs essentiels à l’activité de la société, ou encore la souscription d’emprunts au-delà d’un plafond déterminé ainsi que l’octroi de garanties pour des montants significatifs. L’adoption du budget nécessite quant à elle toujours l’accord de l’investisseur.

Comment sortir ?

La liquidité des titres de la société est l’autre sujet clé des pactes d’actionnaires. En effet, l’investisseur envisage généralement son entrée au capital de la société en anticipant sa capacité à céder sa participation et à réaliser une plus-value dans un délai compatible avec son horizon d’investissement ou, à l’inverse, à acquérir la totalité du capital auprès de l’entrepreneur qui souhaiterait se désengager. De même, l’entrepreneur peut avoir pour projet, à terme, de récupérer la totalité de son capital, une fois le développement de la société assuré ou, au contraire, de réaliser sa plus-value et se consacrer à d’autres projets une fois ses plans pour la société mis en œuvre.

Diverses clauses sont ainsi généralement insérées dans les pactes afin de garantir à chaque partie une liquidité ou la capacité à récupérer les titres de l’autre actionnaire.

La première des clauses classiquement prévues est la clause d’inaliénabilité, ou clause de stand still, qui fixe la durée pendant laquelle les parties s’engagent à ne pas céder leurs titres. Doté des moyens nécessaires à la réalisation de son business plan, l’entrepreneur peut sereinement, pendant cette période, se consacrer à la marche des affaires de la société sans avoir à s’inquiéter de la stabilité de son actionnariat.

Quelques exceptions, les « transferts libres », qui peuvent toutefois être autorisées par le pacte, notamment à des fins de réorganisation patrimoniale de l’entrepreneur ou de cessions entre associés.

À l’issue de cette période d’inaliénabilité, un mécanisme de liquidité est prévu. Il peut être précédé de la possibilité pour l’entrepreneur d’acquérir ou de faire acquérir les titres de l’investisseur par un tiers, sous réserve de lui offrir une performance financière minimale.

À défaut, le processus de liquidité est initié via une banque d’affaires mandatée pour identifier des repreneurs pour tout ou partie du capital de la société. Le choix de celle-ci est crucial et l’entrepreneur a tout intérêt à garder la main sur ce sujet. Une obligation de sortie conjointe, ou clause de drag along, est généralement prévue au bénéfice de l’actionnaire majoritaire. Cette obligation, qui pèse sur la partie qui n’initie pas la cession, a pour objectif de permettre à l’actionnaire majoritaire de proposer à la vente, aux mêmes conditions que celles dont il bénéficie, la totalité du capital de la société, et non uniquement sa participation. Le pendant de cette clause est le droit de sortie conjointe, ou clause de tag along, conféré au minoritaire et lui permettant de céder sa participation aux mêmes conditions que celles proposées au majoritaire par un tiers acquéreur. Enfin le pacte peut également prévoir un droit de préemption, s’il n’est pas déjà prévu par les statuts.

L’articulation de ces divers droits et obligations, selon qu’ils sont répartis pour certains dans le pacte et pour d’autres dans les statuts, nécessite une vigilance toute particulière. Autre précaution à prendre : définir de façon précise la notion de « tiers », dont l’offre est susceptible de déclencher ces diverses stipulations. Comme souvent en matière contractuelle, c’est lorsque la situation se tend entre les parties que la pertinence de la rédaction initiale se vérifie. Et comme toujours en matière juridique, le diable est dans les détails…

Exergue : Il convient de définir précisément les relations actionnariales pour gérer correctement d’éventuels conflits.